8. La Fin d'un Périple
13
Octobre 2006 - Tingri

 

Joël avec le Shishapagma

 

Nous sommes au Népal!!!!

Tingri 14 octobre, bonne fête Chrystine!  Hier nous sommes arrivés ici dans un état de fatigue avancée, affamés mais excités par cette dernière étape (et avec une crevaison que Joël s’est entêté à ne pas changer pour arriver avant la tombée de la nuit; il gonflait son pneu à intervalle régulier).  De la petite ville poussiéreuse d’au plus 2 km, nous avons une vue incroyable sur les montagnes et les sommets de 8000m.  Ils brillent au loin, formant une barrière blanche derrière des champs de pierres jaunes et rougeâtres.  Le spectacle est fantastique surtout au coucher du soleil où le ciel se pare de ses plus belles couleurs. 

Nous voulions prendre congé à ma fête et avons donc fait le tour des 4 hôtels de la place pour trouver le mieux pour une journée off.  Mais à vous dire franchement, tous offraient le même niveau de confort hyper basic : 4 murs, deux mini lits pas très propres, une fenêtre qui laisse passer le froid, une porte et une douche dans la cours qui fonctionnait que dans un seul hôtel, celui que nous avons choisi, le «Everest View ».  Notre chambre…regarder la photo!  Un joli jardin de fraises rouges, jaunes et roses à carreaux bleus!  Nous avons été chanceux d’arriver en ville le jour de la livraison des fruits et légumes et nous avons fait bonne provision de tomates, concombres et œufs.  Au menu de fête : une super salade arrosée de Lhassa beer…quel festin!!


Vue depuis le premier col à 5007m

Au départ de Tingri, on gèle.  La vue sur les montagnes est par contre là pour nous faire oublier.  Nous sommes de retour sur le Friendhsip Highway et y serons jusqu’à la frontière Népalaise.  Nous redoutions cette section de la route en raison du trafic, mais étrangement, il ne nous dérange pas trop.  En fait, la route est large et en relativement bon état.  Les jeeps nous klaxonnent toujours, mais au moins, ils ont de la place pour nous dépasser.  Par contre, la poussière reste omniprésente et notre beau linge propre d’hier, devient en l’espace de quelques km, aussi sale qu’avant.  Avec cette poussière et la sécheresse de l’air, nous avons la peau comme des crocodiles, nos mains sont tellement sèches que les doigts nous craquent et saignent autour des ongles. 

Peu après notre départ, nous croisons deux groupes de cyclistes d’agence qui font la route sans bagages.  Ils sont fort impressionnés, surtout qu’on arrive sans difficulté à les suivre malgré nos 45 kg.  Nous les quittons à l’heure du lunch.  Nous devons préparer le nôtre, alors que le leur sera déjà tout prêt et chaud dans la tente repas un peu plus loin.  Drôle de repas pour nous par contre.  Comme presque toujours alors que nous faisons chauffer nos nouilles, deux hommes bergers arrivent et nous observent.  Après quelques échanges, c’est le silence.  Il nous reste quelques quartiers de tomate et on décide de leur offrir.  Ils se regardent ne sachant pas trop quoi faire, on insiste.  Ils en prennent chacun un quartier.  Ils regardent ce petit bout de tomate rouge avec un drôle de regard intrigué, goûtent du bout des lèvres, font la grimace.  On comprend qu’ils ne savent pas trop ce qu’est une tomate et qu’ils ne doivent pas trop aimer ça.  Tout le monde rit.  Un des bergers est venu à bout de finir son quartier en dix bouchées alors qu’on soupçonne l’autre d’avoir caché le sien sous une roche pour ne pas le manger.  Beau moment!


En route vers le 2e col

On suit une longue et large vallée, le vrai visage du Plateau Tibétain.  Il n’y a pas un arbre en vue et le paysage est très aride; étrange puisque nous traversons souvent des rivières.  Nous avançons vers les deux derniers cols.  Nous laissons les vues de l’Everest et du Cho Oyu pour celle du Shishapangma, le seul 8000m entièrement du côté Tibétain et le dernier a avoir été conquis.  Une montagne magnifique et imposante.  Le vent de face se lève de plus en plus tôt dans la journée et rend notre progression difficile.  La vallée est de plus en plus étroite et voyons presque le col.  Nous décidons d’investir un gros 4,50$ dans une mini chambre parce qu’avec le vent, pas certain qu’on puisse monter la tente.  Soirée romantique autour d’une chandelle, enroulés dans nos sacs de couchage, dodo à 8h.


L'arrivée au 2e col, Lalung La à 5140m.  L'aphotéose du voyage!

Il fait -9C à 9h am quand nous poussons nos vélos sur la route et avec l’étroitesse de la vallée, il sera 11h avant que le soleil fasse passer la température au-dessus de zéro. Les 10 premiers km sont un faux plat montant sans vent sur une bonne route.  Au km 11, on voit le premier des 2 cols à franchir aujourd’hui.  Ça pas d’l’air si pire, 4-5 grands lacets sur 10 km.  Le panorama est spectaculaire, une rivière turquoise coule au fond d’une vallée entourée de sommets de roches rondes et plissées, rougeâtres.  À mesure qu’on monte, on voit apparaître le sommet du Shishapangma qui brille sous les rayons bas du soleil.  Les drapeaux de prières nous indiquent l’arrivée au col Lalung La à 5007m.  Grandiose!  Devant nous, une ligne blanche de sommets luisants mais ils sont légèrement cachés par le vallon du col suivant.  Le vent se lève, on est transi par le froid dans les 5 km de descente avant le début du 2e col.  Nous trouvons un bâtiment délabré qui nous abrite du vent le temps d’ingurgiter notre « dernier » paquet de nouille Ramen.  Le second col sera plus difficile, mais savoir que c’est le dernier et qu’ensuite il ne nous restera que de la descente avant de remiser les vélos pour le trek nous force à nous lever et affronter le vent.


Moulins de prières actionnés par le vent au col

Ouf!  La tâche est ardue.  On ne l’aura pas eu facile ce périple!  Le col se monte sur une longue ligne droite sans lacet.  Nous avons la plus belle des motivations devant : les himalayennes avec, un peu sur la droite, le Shishapangma.  Je n’ai jamais vu de route à vélo avec un aussi beau panorama.  Imaginez, il n’y a rien autour, pas une seule maison, arbre ou quoi que ce soit d’autre, que des champs de pierres arides et devant, pas très loin, tous les sommets blancs alignés un à côté de l’autre!  Ils brillent, on ne les a jamais vu d’aussi proche de tout le voyage.  On trippe….mais on en arrache aussi.  Au début, on ne voit dépasser que les hauts sommets, mais à mesure qu’on s’avance, ils se dévoilent dans toute leur grandeur.  Magnifico!!!!


Début de la descente de 160km, youpi!!!

1h30 plus loin, nous roulions dans l’arche faite de milliers de drapeaux de prières qui marquent le col dans des cris de joie!!!  L’apothéose du voyage!!!  Nous étions à 5140m et en haut du dernier col Tibétain.  D’ici, il nous restait 160 km de descente, traverser un pont à 550m et une petite montée de 30 km pour arriver à Kathmandu.  Wow!  Le paysage est indescriptible et les photos ne peuvent rendre son immensité.  On gèle, pas loin de 0C et il vente à écorner les yaks, mais on jouit.  On ne se lasse pas de regarder ces montagnes immenses.  Nous sommes très fiers de nous et passons presqu’une heure à prendre des photos et tripper emmaillotés de tout ce que nous avons.  Jamais nous n'oublierons ce moment.


Les premiers arbustes que nous voyons depuis des semaines

Et jamais, nous n'oublierons les premiers 15 km de la fameuse descente!  On est littéralement entré dans les montagnes.  Avec la lumière de fin de journée, elles portaient leurs plus belles teintes.  Tout ce qu’on avait à faire, était de se laisser descendre, de crier notre joie et de prendre des pauses photos.  La route, s’est rapidement détériorée, mais on s’en foutait, c’était trop beau.  Malheureusement, plus loin, elle s’est aplanie et le vent a pris de l’ampleur.  On avançait plus, c’était super frustrant. On voulait dormir sous la barre des 4000m pour espérer gagner quelques degrés, mais impossible.  Nous sommes crevés, avons faim et la tâche est trop difficile.  Nous arrêtons dans un mini village délabré à 4400m et demandons pour dormir.  On nous ouvre une pièce au deuxième étage d’une maison avec 7 ou 8 lits.  Il y a de l’électricité et nous sommes heureux de se reposer.  Nous buvons une bière en se remémorant la journée.  Toute une!  La nuit qui suivit fut aussi toute une aventure…je vous raconterai.


La route continue à desendre dans la forêt

Le lendemain, la descente a vite recommencé.  Tous les livres en parlent comme la descente d’une vie et j’ai pas de misère a approuver.  Toute la journée, nous avons descendu sur une route arrachée à la montagne en se faufilant dans une gorge sans fin.  De temps en temps on avait le feeling que c’était presque fini, mais mon odomètre me rappelait qu’il restait encore des milliers de mètres à descendre.  Il faisait -5C dehors, mais on s’en foutait….quelle expérience!  Peu à peu, le décor a changé.  Hier nous étions presque dans un paysage lunaire avec que de la pierre rouges et des sommets blancs.  Aujourd’hui, nous avons vu apparaître quelques petits bosquets ici et là, rougis par l’automne; un peu plus loin, de l’agriculture en terrasse; encore plus loin, un arbre ou deux.  Nous traversions plein de rivières qu’on voyait arriver de très haut, de là où se terminent les glaciers, de l’eau hyper claire.  Et tout à coup, tout plein d’arbres, des forêts complètes.  Chose que nous n’avions pas vue depuis notre départ de la maison.  L’air était humide, il goûtait bon.  On entendait des criquets chanter, les oiseaux volaient au-dessus de nos têtes, on voyait des fleurs entre les feuilles.  Incroyable!  Jamais j’ai trouvé du vert aussi beau.  Tout était luxuriant sous le soleil.  On arrêtait souvent pour se reposer les mains, car la route était l’enfer, et on se gorgeait de toute la beauté.  On respirait bien dans cet air chargé en oxygène.  On se sentait revivre! 

Nous avons dîné dans la petite ville de Nyalam, complètement prise d’asseau par les Chinois.  C’est la dernière ville avant la ville frontalière et on y trouve de tout.  Nous avons bouffé comme des cochons et remplis nos ventres et sacoches de barres Mars.  Ensuite, le vrai fun commençait (ou se poursuivait?) par une perte de 1500m de dénivelé sur 35 km!  La route descendait aussi loin que nos regards pouvaient se porter.  La rivière que nous suivions depuis hier devenait de plus en plus large et rugissait dans le fond de la gorge.  Tout est sauvage autour de nous, pas de village, ni de trace d’humain….à part les fous qui nous passent en jeep dans des nuages de poussière. 


Dram, ville frontière, en fin de journée

La température augmente à la même vitesse qu’on descend.  Il fait maintenant 30C et c’est hyper humide.  Nous sommes presque sous les tropiques….à 2300m d’altitude!  Je n’y crois pas mais il y a des bananiers et des palmiers.  Nous sommes arrivés à Dram en fin de journée.  La dernière ville avant le Friendship bridge de la frontière Népalaise. La ville, hyper commercialisée est construite en lacets à flan de montagne.  Un spectacle saisissant.  Tout au long des 7-8 km de lacets, sont alignés les camions de transport.  Il y a des touristes, des hôtels, des restos, on se sent brusquement changé de milieu.  On déniche un petit hôtel avec salle de bain privée, eau chaude et pour la première fois depuis Lhassa, propre.  On trippe!  Joël est en culotte courte et on se balade gaiement. 

Au réveil, le soleil brille déjà.  La douane Chinoise, n’ouvre qu’à 10h.  Je vais vous épargner les détails, mais pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué, la devise des Chinois.  Ça a pris plus d’une heure avant de pouvoir « sortir » du pays.  Il y a 8km de descente en « no man’s land » avant d’arriver au fameux pont qui sépare les deux pays.  En l’espace d’un instant, tout change….même l’heure (le Népal a 2h15 de différence avec le Tibet).  Il y a du monde partout, les femmes portent des saris colorés, je vois déjà mon chum les regarder tellement elles sont belles.  C’est l’anarchie.  On se faufile comme on peut et on traverse le pont coincé entre deux rangées de camions stationnés.  Voilà, nous sommes au Népal!  Tout est différent.  On roule à gauche. Les maisons sont basses et délabrées et faites de bois.  Les magasins débordent de bouffe qu’on reconnaît.  Les gens sont partout, c’est la frénésie et on ne voit même pas où se trouve la douane Népalaise.  C’est un gentil monsieur, qui en anglais, nous la pointe.  On entre et en moins de 5 minutes, contre quelques dollars, nous avons nos visas Népalais.  Bingo!!!!  Je vous laisse imaginer la joie. Surtout qu’il reste encore une journée complète de descente!  La route est toujours aussi mauvaise mais le décor dans lequel nous descendons est ravissant, vert et humide.


Le fameux Friendship Bridge entre le Tibet et le Népal

Ce soir là, émerveillés et heureux comme des enfants. Nous décidons de passer la nuit dans un resort touristique où on loue de tentes prospecteurs.  Nous y avons mangé nos deux premiers bons et très copieux repas depuis que nous sommes sur la route et nous nous sommes endormis au son du chant des criquets, un peu engourdis par la nouvelle Everest Beer!

Au réveil (2h15 plus tôt), nous avions juste envie de prendre la route et de terminer ce voyage.  Il nous avait fait vivre de grands moments de joies et de frustrations, de douleurs et de beauté, mais nous étions tous les deux fin prêts à stationner les vélos et prendre nos bottes pour partir explorer ce vaste pays.  La route continue à descendre et de plus en plus on roule sur des sections asphaltées.  On rigole comme des enfants.  L’environnement est tellement différent.  Ici, contrairement au Tibet, il y a de gens et des maisons partout.  On les voit le long de la route laver leur linge aux nombreuses sources, on les voit se reposer dans les hamacs, on voit des maisons perchées super hautes sur la montagne avec des jardins en terrasse qui montent encore plus haut. Tout est vert, humide et il fait chaud, on roule en court!  Les enfants nous crient des Namaste et nous font des « high five », aucun ne nous demande de l’argent.  Le bonheur.  La petite rivière qui coulait à 5000m est maintenant rendue un torrent large et puissant.   Environ 25 km plus loin, la route est entièrement pavée, nous pouvons donc descendre sans freiner en passant tout notre temps à regarder ce qui nous entoure comme si nous n’avions jamais vu de forêt de notre vie.  Tout nous enchante.  Et voila, c’est terminé.  Nous sommes à 550m d’altitude après 160 km de descente. Vraiment, la descente d’une vie!


Il ne nous reste que 105km avant d'échanger nos vélos
pour nos bottes de marche !

Au premier resto pour le lunch, un homme nous parle anglais, nous sommes excités de pouvoir enfin communiquer et commander notre premier « dal bhat », plat typique Népalais.  Ensuite, une longue et atroce montée de 30 km et 1200m de dénivelé, nous mène au premier et dernier col Népalais avant Kathmandu à Dhulikel.  Le trafic est très dense et complètement anarchique.  On se demande comment ils arrivent à rester en vie.  Après une nuit de repos, nous avons affronté et vaincu la jungle urbaine pour entrer dans Kathmandu.  Nous n’avions pas de carte précise de la ville mais en demandant des directions au 2-3 intersections, nous sommes arrivés à bon port dans les bureaux de l’agence de trekking.  Ici, nous allions échanger nos vélos pour nos bottes.  Le périple à vélo était terminé.  Quelle aventure.  Un autre rêve de réalisé.  Déjà le prochain se profilait….

 Nous espérons que ces lignes vous ont permis de vivre une partie de notre voyage.  Avec nos photos vous en apprendrez plus.  La suite se passera dans les montagnes Népalaises en trek.  À suivre!

Chrystine et Joël au Tibet  xxx

 

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