3. Le Premier Col
26
Septembre 2006 - Gyantse

 


Première journée en quittant Lhasa, enfin les grands espaces!

 

Tashi Delek,

 

Nous voilà de nouveau en ville après un vrai départ sur la route.  Nous sommes arrivés à Gyantse hier après 6 jours de vélo. Six superbes  journées.  Six jours que nous ne sommes pas prêts d’oublier en raison de tous les rebondissements.  Six jours où nous avons vécu des moments inoubliables.

 

Six jours à découvrir un pays exceptionnel mais aussi à voir tous les ravages qu'ont faits et que font toujours les Chinois.  Six jours à accumuler de la saleté... vous ne pouvez pas vous imaginer dans
quel état de saleté nous sommes arrivés ici hier.  Six jours à faire des rencontres fascinantes. Six jours avec 3 cols dont un à près de 5000m.  Six jours en altitude.

Bref, 6 jours....de bonheur!


Il n'y a pas toujours de pont sur les routes les moins voyagées!


Je voudrais tous vous avoir devant moi présentement pour vous raconter, mais malheureusement, vous n’y êtes pas.  Alors, je vais essayer de faire un résumé rapide de cette semaine extraordinaire
que nous avons vécue.

 

Nous avons quitté Lhassa mardi dernier. Pour Joël, c’était un moment de grande excitation, enfin nous quittions la ville.  Pour moi c’était la même chose mais mêlé avec un peu d’anxiété. Nous partions à vélo, à l’aventure, dans un pays qui n'est pas encore tout à fait ouvert aux
voyageurs indépendants.  Je savais que la police pourrait nous intercepter n'importe quand et aussi, je dois vous avouer que je trouvais la tâche assez imposante.  Rouler à des altitudes de plus de 4000m, chargés comme des mulets... Allais-je être capable? Et oui, ça m'arrive moi aussi de douter. Mais tous ces doutes ont vite pris le chemin des oubliettes une fois passé le pont de Lhasa.


Notre premier col, Kampa La 4790m, 1100m de dénivelé et 4h de monté.  Notez que les Chinois en mettent toujours un peu en donnant l'altitude.


Comme je vous le disais auparavant, notre plan est de se rendre au Népal en empruntant toutes les routes possible sauf le « Friendship Highway » et ce dernier seulement lorsque ce serait absolument
nécessaire.  Cette route est la route principale qui relie les 2 pays.  Elle est sous grosse construction parce que les Chinois ont décidé d’en faire une « vraie » autoroute droite avec 2 à 4 voies.  De plus,
c’est le long de cette route qu’ils se sont massivement installés, chassant les Tibétains dans des terres lointaines.  En fait, ils ont tout à fait dévisagé le Tibet, autant au niveau des meurs que du paysage.
Enfin, nous pensions qu’en prenant les chemins de travers nous aurions plus de chance de « vivre » le Tibet tout en étant loin du trafic et de la poussière.  Donc première étape, en sortant de Lhasa,
descendre sur la rive est de la rivière.  Nous pouvions faire 55 km avant de rejoindre le nouveau pont et faire les derniers km avant la jonction pour le col Khampa sur la FH.

 

Quelle bonne décision!!  La route est absolument extraordinaire.  Des montagnes, des plaines, des arbres, des champs de culture d’orge (la base de la nourriture tibétaine) et la rivière qui coule paisiblement tout à côté, le tout sans aucune voiture, camion ou autre.  De temps en temps nous apercevons la FH et le trafic de l’autre côté de la rivière... que nous sommes fiers de notre décision.  Par contre, les chemins de travers ne sont jamais faciles.  La route est en piteux état, du vrai vélo de montagne!!


4e journée de vélo et au moins la 7e crevaisons pour Joël.


Parfois nous devons traverser des rivières à gué, d’autres fois nous devons prendre des pauses forcées par les nombreuses crevaisons.  En fait, celles-ci ont été le « running gag » des premières journées.
Sept crevaisons pour moi et 5 pour Joël en 3 jours!!!!!  Mauvais karma ou quoi???  Nous traversons des villages pittoresques et voyons pour la première fois la vraie vie tibétaine.  En fait, tout allait bien et nous étions aux anges jusqu’à ce qu'après notre je ne sais combientième crevaisons, à 15 km du fameux nouveau pont, nous voyons une tente couleur vert armée plantée au milieu de nulle part.

On n’a pas pu faire un pouce de plus: la police!  On ne peut pas passer plus loin.  On ne sait pas pour quel obscure raison, mais il faut retourner à Lhasa.  Non ce n'est pas vrai.  J'ai usé de tous mes atouts, mes beaux yeux, mes supplications, rien à faire.  Joël en arrière plan jubilait.  Nous avons essayé autant comme autant de leur dire que le pont n’était qu’à 15 km et que Lhasa était à plus de 35 km... Une longue journée de route.  Rien à faire, ces Chinois sont inflexibles.  F&^%^%7!!!!  Piteux, nous nous sommes retourné et avons pris la route du retour....celle de Lhasa qui allait devenir la FH par la suite.  Mais bon, c'est aussi ca l’aventure... La voilà qui commençait dès le jour 1!  Pas grave.  La route était quand même
aussi belle au retour.


Col Khari, 4950m notre record d'altitude jamais atteind à vélo!  Il fait frettttte et la route est l'enfer!


Mais, le lendemain, sur la FH quelle horreur!!!  Le trafic, presqu’aussi pire que sur le Métropolitain à Montréal, pollution en plus!  On doit rouler avec des masques si on ne veut pas mourir asphyxiés sous
cette pollution.  Ça nous aurait aussi pris des bouchons pour essayer de diminuer la cacophonie des klaxons. C'est l’enfer... De loin le pays que j'ai visité qui utilise le plus les klaxons.  Y'a pas une voiture, un bus ou un camion qui nous passe... et dans les deux sens, sans qu’il klaxonne 10 fois! Et pas juste un « pout pout » de bonne chance, non un long et fort klaxon comme si nous étions en danger de mort. Incroyable. Mais oui, c’est aussi ça l’aventure!  En plus que nous avons dû faire un bon 20 km de trop parce que nous avions manqué le virage... Qu'est que vous voulez, les affiches unilingues chinoises ne nous aident pas beaucoup pour s'orienter et les cartes pas plus. En raison de tout ce qui se passe ici par les Chinois il n’existe pas de carte valide du pays.  Nous possédons 3 cartes et  elles ne sont pas pareilles, jamais.

 

Trois jours plus tard, nous prenions une route de travers de nouveau.  Une route quand même assez passante car elle est toute asphaltée et qu’elle conduit au lac sacré de Yamdrok en passant par le col Kamba La à 4700m.


Petite pause nouilles Ramen!


Nous avons passé la nuit dans une pièce d’une maison des travaux publics en raison de la pluie (la saison des pluies ici s’étire beaucoup plus longtemps que prévu... il pleut presqu'à chaque jour et il fait froid.  C'est ça aussi l’aventure) et parce que nous voulions être sur le route très tôt le lendemain. La tâche était lourde, 25 km de montée, 1100m de dénivelé positif, le tout en partant à 3600m. Au jour 4, nerveux tous les deux, nous avons pris la route du col avec nos mulets de 45kg dans la pénombre du matin par encore levé.  Petit train va loin.  C'est dur, ça monte et le souffle est court. Nous devons souvent prendre des pauses.  L'air ne se rend juste pas jusqu’aux poumons. Il fait frais et nuageux, cette fois nous sommes contents car sous le soleil, nous y serions encore. Lacets après lacets le paysage se dévoile.  Au fond, coule la rivière.  Parfois des cris de bergers se
rendent à nous.  Incroyable de les voir gravir la montagne avec leurs troupeaux... tous les jours. Malheureusement, les jeeps de touristes et les bus de Chinois nous passent et repassent.

Le trafic est beaucoup plus lourd que nous pensions.  Mais à voir le paysage, nous comprenons. Parfois ils nous saluent, d’autres fois ils nous ignorent complètement... nous comprendrons vite que ce sont les Chinois.  Parfois, on rit car on voit une caméra sortir de la fenêtre de l’autobus quand ce n'est pas la jeep au complet qui veut se faire poser avec nous... Essoufflés, on ne peut rien dire, on essaie de sourire sur leurs photos de voyage!  On grimpe, on grimpe. Parfois on croit voir le col... on n’est pas certain.  On essaie de manger, rien ne rentre.  Mais à force de persévérance et d’envie, après 5 heures de montée, nous voyons un tas de drapeaux de prières, il ne nous reste
u'un km.  Comme toujours quand je suis en altitude et que j’arrive à mon but, les larmes se mettent à couler.  Joël et moi passons sous les drapeaux de prière côte à côte, voilà, mission accomplie, premier
col dans la poche!  Khamba La 4700m.

 

En haut il fait froid, il vente, il y a plein de trucs à vendre pour les touristes dont des yaks déguisés avec lesquels on peut se faire prendre en photo... nous sommes un peu déçus.  Mais, ce n’est pas
long qu’on passe par dessus tout ça.  La vue est absolument à couper le souffle.  Tout en bas, le lac Yamdrok s’étire entre les montagnes.  Les nuages sont bas, on ne peut pas voir les sommets enneigés comme on voit sur les photos, mais « who cares »?  Nous venons de monter notre premier col! Une Lhase beer et un bol de nouilles instants, nous sommes heureux!


Vu sur le quartier Tibétain de Gyatse.  Étrange d'avoir un quartier Tibétain au Tibet non?


La pluie arrive, nous enfourchons nos vélos pour une courte descente, le lac est à 4400m. Le lendemain, nous sommes paresseux.  On gèle (5C) et la pluie est toujours dans le décor. On décide de se faire une courte journée (35 km) et de passer l’après-midi dans un hôtel dans un petit village minable pris d’assaut par des Chinois aux grandes ambitions.  Il faut se reposer et prendre des forces... Demain, une autre dure journée nous attend.  Nous dinons chez les Chinois avec
supposément du poulet et du bœuf... ce qui était probablement en vrai du porc et du chien... mais j’ai tellement faim que je m’en fous.

 

7 heures du matin, il fait encore nuit quand nous passons devant la tente de la police et les drapeaux. Je fais signe a Joël pas un mot et vite.  Quelle chance... nous avions appris la veille que cette route
était fermée en raison de la construction, mais nous voulions quand même y aller parce qu'il n'y a pas d'autre route qui va à Gyantse à moins de faire un détour de plusieurs centaines de km. Si la police
avait été aussi levée tôt que nous Québécois, c’est certain que nous ne passions pas... quelle chance nous avons eu car cette route, malgré tout, restera longtemps gravée dans notre mémoire. Une route qui grimpe entre les sommets de 7000m jusqu'au col Karo La à près de 5000m.  De chaque côté des glaciers, des pics immenses, on longe une rivière jusqu’à sa source.  Des montagnes toutes les couleurs. Vue imprenable malgré les nuages et le froid. 

 

Rue typique du quartier Tibétain

 

Mais... les Chinois.  Tout comme le col Khamba La, ils sont en train de faire de cette petite route de montagne, une large autoroute qui monte le plus droit possible pour aller le plus vite possible.
La route est dans un état comme j’en n’ai jamais vu de ma vie de cyclotouriste.  Des roches, des trous, de la boue, du sable.  Des chantiers tous les 2-3 km, des milliers de gens qui travaillent au pic et à la pelle pour défaire la montagne et faire une route dans des conditions de travail inhumaines.  L’enfer. On gruge les mètres, un après l’autre.  Parfois des Tashi Delek, des travailleurs Tibétains nous encouragent, surtout les femmes dans mon cas (et oui, ici pas de discrimination, les femmes aussi tirent les brouettes et transportent les pierres une à une sur leurs dos) ou parfois sous le regard abaissant des Chinois, qui même parfois nous ignorent complètement.  Disons qu’on est loin de la sympathie des latins de la Descente des Amériques.  On pousse les vélos, on marche des bouts parce que ça ne passe pas.  Incroyable... le tout en route pour mon record d’altitude à vélo, 5000m.  Mais, comme dit Joël, petit train va loin et malgré les pauses très courtes en raison du froid glacial des glaciers autour, nous avons conquis ce col en une demi-journée.  4948m!!!

 

Nous en sommes fiers.  Mais en plus de cette victoire nous avons pu observer les gens... C’est vraiment dur pour le moral de voir toute cette destruction.  Ils sont carrément en train de détruire un côté de la montagne pour faire une autoroute.  Les pylônes électriques lancés ici et là dans le paysage le cicatrisent affreusement.  Les petits villages se font envahir.  On détruit des champs de cultures pour construire de grandes places de béton vide au milieu desquelles flottera certainement un drapeau chinois.  Si la route avait le malheur de faire une courbe, on dynamite la montagne pour que dorénavant elle passe tout droit.  Si la route longeait la rivière, on la fait passer au milieu des champs pour qu’encore, elle soit bien droite.  Incroyable tout ça.  Je dois vous avouer que je me pensais prête pour tout ça, mais pas du tout. On n’est pas du tout au courant de ce qui se passe ici et ce n’est pas facile à vivre.  Mais bon, on poursuit notre route au rythme des rencontres ici et là avec un groupe de nomades qui poussent leurs yaks vers le col ou les villageois quand on cherche de l'eau.  On prend plaisir dans toutes les petites choses de la vie.
Une pomme devient un luxe et les nouilles « Ramen » notre cauchemar.


Monastère Kumbum, unique en son genre au Tibet


Après ce col, nous en avons fait un autre tout petit à 4300m en route vers Gyantse.  Nous pensions qu'après le Karo La, la route serait belle, mais non, elle était pire.  Il nous a fallu prendre une autre demi-journée pour atteindre la ville.  Nous sommes arrivés ici sale comme je ne l’avais jamais été de ma vie, affamée et crevée
après avoir dormi sur un tas de terre près de la route et s'être fait réveiller à minuit par la pelle mécanique qui venait de décider de remplir un trou à 100m de la tente...  C'est aussi ça l’aventure!  Nous avons fait faire notre lavage, pris une douche chaude (rareté ici), avons bouffé comme des ogres, Joël a pris sa première brosse en altitude (il s'en remet à peine aujourd’hui... il dit qu’avec la grosse bière à 50 cents, on n’est pas pour boire de l’eau!) et on s’est reposés.  Il ne nous reste qu'à faire des provisions et demain nous repartons sur une autre route de travers et un col que les gens de la place ne connaissent pas trop.  L'aventure quoi! J’ai déjà hâte.  Une journée en ville, c'est assez.  Quoi qu'il faut dire que Gyantse est une des seules grosses villes du Tibet qui a réussi, je ne sais comment, à garder une atmosphère tibétaine.  Nous avons visité quelques temples et marché dans le vieux quartier.  Pas facile la vie que ces gens-là mènent, mais ils ont toujours le sourire accroché au visage et sont tellement contents quand on leur lance un Tashi Delek!

 

Nous pensons à vous tous les jours en rêvant de pouvoir vous partager toute cette aventure.  Je pense aussi beaucoup à ma nouvelle petite filleule Marianne née il y a deux semaines.  Nous vivons pleinement notre vie et espérons que vous faites de même.  La vie est bonne avec nous et nous nous considérons privilégiés de pouvoir vivre cette belle aventure.

 

Donc, demain c'est l'inconnu.  Il y a bien une route sur 2 de nos 3 cartes mais nous n'en savons pas plus. Nous ne pensons pas avoir accès à internet pour un bon bout.

 

J'aime bien avoir de vos nouvelles, mais ma boîte « Sympatico » me donne du trouble. Écrivez-nous à l’adresse de Joël à joelpaquin@yahoo.ca.

 

Au plaisir et Tashi Delek

 

Chrystine et Joël xxx

 

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